Réveiller le Don Quichotte qui sommeille en nous

  • Jean-François Courtille pour Horizons Pyrénées
  • Divers

Don Quichotte, le chef d’œuvre de Cervantès, sera le spectacle présenté par la compagnie du Théâtre Fébus  pour le prochain festival de Gavarnie qui aura lieu du 25 juillet au 6 août 2019. Cette année, la mise en scène est confiée à

Frédéric Garcès

, qui a participé en tant que comédien aux récentes éditions du festival. La direction artistique est toujours assurée par Bruno Spiesser, responsable de la compagnie du Théâtre Fébus. Dans cette interview, Frédéric Garcès détaille la manière dont il a souhaité mettre en scène l’histoire de Don Quichotte.

 


Comment abordez-vous ce monument de l’histoire littéraire européenne, le Don Quichotte de Cervantès ?
Bruno Spiesser me donne la parole en me proposant de mettre en scène un spectacle à Gavarnie. C’est une responsabilité que je respecte infiniment, pour le festival, pour les spectateurs et pour la Compagnie du Théâtre Fébus.  Comme artiste, je ressens une mission de transmission. Nous sommes des passeurs. Certes, nous racontons des histoires. Mais nous rappelons aussi les questions oubliées. Nous sommes les témoins de notre époque. Nous sommes aussi en charge de rappeler la mémoire des autres époques. Ainsi, nous créons des liens. En traversant le paysage théâtral depuis des siècles, nous rencontrons de nombreux thèmes. Mais ce qui revient souvent, à mon avis, c’est cette force insoupçonnée qui nous pousse à nous relever. Nous échouons en permanence, mais ensuite, nous nous relevons. Nous essayons toujours de nous dépasser, même si cela semble parfois émouvant, cruel ou caricatural.  

Don Quichotte est la meilleure image de cette démarche. Cet homme est décrit comme un maladroit, un fou. Il évolue dans un registre à la fois burlesque et touchant. Don Quichotte a aussi une dimension universelle, il n’incarne pas que l’Espagne. Il croise des personnages qui l’emmènent vers la France, l’Arabie, voire plus loin. J’estime que cette œuvre possède une vraie mixité culturelle. Et j’ai eu envie de m’en servir pour être à la hauteur de l’espace du festival, le site de la Courade à Gavarnie. C’est un espace ouvert. L’endurance des comédiens va être fortement sollicitée. Ce sera très actif, autant derrière le plateau que devant. Je souhaite un spectacle à la fois dynamique et coloré, avec les lumières de Laurent Aranda, les costumes de Véronique Strub et de Dorothée Laurent.

 

Une partie de l’équipe du festival de Gavarnie

Don Quichotte passe souvent pour un fou. Quelle est votre vision à ce sujet ? Pensez-vous qu’il s’agisse d’un fou ou plutôt d’un audacieux ?
Le thème de la folie me fascine depuis longtemps. Je l’avais déjà traité il y a quelques années dans Le journal d’un fou. On peut estimer que Don Quichotte est fou, mais selon quels critères ? Je le vois plus comme un audacieux qui décide d’arrêter de rêver sa vie, de la sublimer par la lecture de romans de chevalerie dans lesquels il s’enferme. Il essaie ainsi de résister à une pression sociale qui existait déjà à son époque. L’audace de Don Quichotte consiste à prendre en main sa vie et aller jusqu’au bout de ce qu’il estime juste pour lui-même. Quitte à passer pour un fou aux yeux des autres.  Don Quichotte part de ce principe : avant de vouloir être au service des autres et de les sauver, il essaie déjà de se sauver de lui-même. A travers cette histoire, chaque personne peut aussi découvrir son propre Don Quichotte.  


Comment avez-vous choisi l’habillage musical de ce spectacle ?
J’ai fait appel à Vincent Maingueux qui avait été régisseur son à Gavarnie en 2014 pour Le songe d’une nuit d’été. On m’a rappelé son travail musical alors que j’étais en quête d’identité sonore pour Don Quichotte. Son univers m’a vraiment charmé, car il correspond à cette notion épique que je recherche pour ce spectacle. Vincent a réussi à dynamiser et à porter la couleur que je cherchais pour cette œuvre.


Vous évoquez la dimension européenne et universelle de Don Quichotte. Et vous avez voulu cristalliser cela autour du personnage de Dulcinée …
Dans le premier tome du livre, c’est ce qui le motive pour partir. Il devient chevalier et part à l’aventure pour mériter l’amour de celle qu’il aime. Il invente cette image féminine de Dulcinée qu’il sacralise énormément. Au cours du premier tome, on oublie un peu Dulcinée, car beaucoup d’autres personnages prennent le relais. Mais dans le deuxième tome, Cervantès revient à l’essentiel. Son œuvre a été plagiée, et il cherche à rétablir la justice avec sa plume.  L’image de Dulcinée devient alors plus évidente. Le lecteur comprend qu’elle n’existe pas. Il se demande si Don Quichotte va réussir à la trouver. Sancho Pança lui-même ne comprend pas. Et il essaie de créer une Dulcinée en se servant de la folie de son maître. Don Quichotte prend les armes pour affronter la vie. Il est vieux et malade. Sait-il qu’il va vers sa mort ? Pour moi, l’image de Dulcinée est une sorte d’allégorie de la mort. C’est la fin du voyage, le bout du chemin. Dulcinée va l’accueillir au moment voulu, tendrement.

Pour évoquer Dulcinée, vous avez fait appel à une danseuse dont la chorégraphie s’inspire fortement de la danse indienne.
Corinne Mathou est une artiste des Hautes-Pyrénées. Elle a vécu plusieurs années en Inde et elle est donc spécialisée dans la danse indienne. Je trouvais cette spécificité très intéressante. J’ai rencontré beaucoup de danseuses spécialisées dans le flamenco et talentueuses.

Corinne Mathou en répétition du spectacle Arise – Photo Cie Mandragore

Mais ce qui m’a intéressé chez Corinne, c’est que la danse indienne est un lointain ancêtre du flamenco. Cette volonté de casser les frontières et d’élargir les horizons m’a conduit à imaginer ce mélange entre des mouvements chorégraphiques espagnols et indiens. Cela donne une palette de couleurs qui offre beaucoup plus de liberté et de respiration au spectacle.  


Quelle est selon vous la résonance de Don Quichotte avec l’actualité, en particulier dans le contexte des élections européennes ?
J’ai élaboré le projet de Don Quichotte entre janvier et juin 2018. Lorsque j’étais en tournée pour notre spectacle en fin d’année 2018, le mouvement social des Gilets jaunes a commencé. Cela a nourri ma réflexion. Et forcément, cette énergie m’a encore plus motivé pour défendre ce projet de spectacle. Elle me pousse à être encore plus responsable dans le message que je cherche à transmettre. C’est un message de courage. Il s’agit de réveiller le Don Quichotte qui sommeille en chacun de nous. Prendre sa lance, aller vers ces moulins à paroles qui brassent du vent. Et se libérer du joug de ces géants industriels !


Propos recueillis par Jean-François Courtille pour Horizons Pyrénées
 
 

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