Chanteurs lyriques français, oui mais à quel prix ?

  • Christophe Rizoud
  • Divers

L’affaire Sacha Hatala à Beaune le mois dernier a relancé la discussion sur le cachet et au-delà sur le statut des chanteurs lyriques en France. L’affaire ne date pas d’hier : 5 juillet 2012, une soixantaine d'artistes lyriques français échangent sur leur métier et décident de chercher des solutions aux problèmes qui se posent dans le domaine lyrique. Le « collectif du 5 juillet » est né.

Cinq années et une analyse statistique plus tard, la situation n’a guère évolué : baisse de 28% des offres de rôle proposés par les opéras de France entre 2009 et 2013 ; moins d’un tiers des artistes lyriques résidant fiscalement en France engagés au moins une fois au cours de ces quatre mêmes saisons ; problème de la réciprocité (il existerait chez nos partenaires européens des pratiques d’embauche tacites qui réduiraient les possibilités de travail à l’étranger pour les artistes résidant fiscalement en France) ; « dumping social » (le recours à des artistes lyriques résidant fiscalement hors de France est meilleur marché) ; soupçons de clientélisme entre certaines agences internationales et certaines maisons d’opéra ; etc. Un rapport, rendu public en avril 2015, est salué pour sa qualité et sa justesse (sic). Cela nous fait une belle jambe, a-t-on envie d’écrire trivialement, lorsque l’on constate que depuis sa publication, le paysage demeure sinistré.

Il n’y a pas si longtemps pourtant – trente ans environ – le chanteur était roi. Puis vint le règne du chef d’orchestre vite supplanté par le metteur en scène. Phénomène de l’évolution de la représentation d’opéra, condamné par les uns, jugé salutaire par les autres car considéré comme seul moyen de dépoussiérer un genre en passe de muséification… Il ne s’agit pas de rouvrir le débat, juste de poser les faits.

Disparition des troupes qui favorisait une progression stratégique dans la carrière ; baisse des subventions étatiques et donc limitation de l’offre ; subventions dirigées vers les grandes structures au détriment de petites troupes génératrices de projets d’excellence ; multiplication des plans de formation ; amélioration pourtant très nette de l’enseignement : il y a aujourd’hui en France beaucoup de chanteurs qui chantent très bien. Tel est le constat fait par Sophie Hervé, elle-même chanteuse, professeur de chant, metteur en scène et prochainement auteure d’un livre intitulé La voix(e) du périnée, un roman pédagogique et autobiographique qui a pour sous-titre « la voix lyrique professionnelle : un corps-accord avec soi dans un foudroyant appel de l’autre ».

Pour cette artiste de 58 ans, en dehors des « bankable », l’âge est un critère. Priorité est souvent donnée par les metteurs en scène aux jeunes chanteurs, généralement dotés d’un physique mieux en adéquation avec leurs rôles et compte tenu de leur relative inexpérience moins chers à engager. Au fil de la discussion avec Sophie Hervé, surgissent d’ailleurs de nombreuses autres questions, elles-aussi au cœur du débat lyrique aujourd’hui, même si périphériques au sujet qui nous intéresse, tels l’importance de l’apparence ; l’avantage de disposer de caractéristiques physiologiques particulières selon les ouvrages abordés – la stature en étant une ; le rôle de la critique souvent focalisée sur les mêmes noms ; la différence de perception des voix selon la dimension de la salle et de la place occupée ; l’importance des seconds rôles ; la position clé du chœur devenu par la force des choses l’âme du théâtre…

Bref, il y a de plus en plus de chanteurs, de mieux en mieux formés, mais très isolés. « Ni vampire, ni proxénète », l’agent n’est pas forcément le remède à cette solitude. Pire, selon Sophie Hervé : « la meilleure façon de tuer un chanteur, c’est de le faire entrer dans une grande agence où son nom sera noyé au milieu d’une centaine d’autres ! Mieux ne pas avoir d’agent que d’en avoir un inefficace ». Se pose en France également le problème de la langue. Pas de contact avec l’étranger si l’on ne parle pas anglais, ce qui – on le sait – n’est pas notre point fort. Le directeur de théâtre, chef d’orchestre ou metteur en scène dans une grande agence, privilégiera les artistes de son écurie. Cet univers est impitoyable.

Faut-il alors espérer des jours meilleurs qui ne semblent pas près d’advenir ? Faut-il qu’un ministre ait le courage de prendre à bras le corps le sujet des injustices engendrées par le système de l’intermittence ? En attendant, mieux vaut renoncer à faire fortune si l’on est chanteur lyrique en France. Quelques exemples de rémunérations présentées ci-dessous en apportent la preuve. Pour interpréter la partie de soprano dans le Requiem de Verdi à Paris, Sophie Hervé a reçu un cachet de 250€. Comme elle s’étonnait avec ses camarades de la minceur du traitement compte tenu de la difficulté de la partition, il leur a été répondu « Si vous n’êtes pas contents, on appelle des chanteurs russes ». Sympathique façon de considérer le chanteur immigré… Plus surprenant encore les 80 euros que l’on a osé proposer à Jean Louis Serre, il y a quelques années pour un Requiem de Mozart, un 31 décembre à Paris. Cachet que le baryton a bien sûr refusé … « C’est vrai que tout va vers la baisse mais tout de même … » s’attriste-t-il aujourd'hui, « on ne discute pas les contrats, on a peur d’être blacklisté, peur de ne plus être appelé ; les jeunes chanteurs se gardent bien de s’exprimer sur le sujet, les moins jeunes lâchent l’affaire. De toutes les façons on a peu de recours lorsque le téléphone cesse de sonner… »

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Ecrit par Christophe Rizoud pour forumopera.com

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